Par Isabelle Brandy
La course à pied et le Pilates ont eu une expansion croissante ces dernières années. Ces deux activités sont-elles à l’opposé l’une de l’autre ou peuvent-elles être complémentaires ? Nous allons essayer de répondre à ces questions.
La course à pied
La course à pied est une activité physique permettant de bouger son corps de manière naturelle, tout en ayant une influence positive sur la santé mentale. De nombreuses personnes disent aller courir pour se vider la tête. Pour un grand nombre d’entre elles, c’est une activité techniquement facile à mettre en place, « on enfile une paire de baskets et hop on part courir n’importe où et n’importe quand ».
Mais dans la réalité, c’est une activité qui peut très vite amener à des blessures si certaines règles ne sont pas respectées.
L’une des premières règles est bien sûr la progressivité. Effectivement, il est important comme dans tous les sports d’augmenter progressivement la charge afin de permettre au corps de s’adapter correctement.
Une autre est l’importance d’avoir un corps fort et mobile. Le renforcement musculaire, le travail de la mobilité et le travail respiratoire jouent un rôle important pour avoir une course la plus optimale possible dans le respect du corps et ainsi éviter les blessures.
Pour cela, les techniques d’entraînement ont évolué. Cette évolution a amené à la mise en place du renforcement tout au long de la saison ainsi qu’à l’intégration de sports croisés dans l’entraînement. Les sports croisés permettent un transfert de compétences dans un autre sport ; pour la course à pied par exemple le vélo, le ski, la marche nordique ….
Dans beaucoup de clubs, la saison est divisée en plusieurs parties. L’entraînement va être au début général, pour devenir de plus en plus spécifique afin d’être adapté aux objectifs des athlètes.
Le renforcement ou préparation physique générale (PPG) se fait en tout début de saison à chaque entraînement. Puis il devient plus spécifique pour se transformer en préparation physique spécifique (PPS). Il va finalement disparaître au profit des entraînements constitués uniquement de course à pied.
Différents programmes d’entraînement en course à pied intégrant renforcement et mobilité voient de plus en plus le jour, révélateur d’un intérêt croissant pour ce type d’entraînement.
La course à pied demande de la technique, une biomécanique spécifique nécessitant un travail musculaire à la fois de l’appareil locomoteur, des membres supérieurs, du tronc et de la respiration.
Le renforcement musculaire de l’appareil locomoteur semble bien sûr évident, celui des bras un peu moins, ceux du tronc « Core » et du travail respiratoire encore moins. Pourtant quand nous courons, c’est bien tout notre corps qui se déplace, alors pourquoi ne pas le renforcer dans sa globalité ?
Toutes les phases de travail musculaire sont mises en œuvre : concentrique, excentrique, pliométrique et aussi proprioceptif. Il est important d’avoir des groupes musculaires agonistes-antagonistes qui soient en synergie. Il en résulte une évidence de travailler la coordination pour que tout fonctionne au mieux.
Le renforcement du corps dans sa globalité associé au travail respiratoire va avoir un effet direct et positif sur l’économie énergétique de course, sur la progression de l’athlète dans sa pratique mais aussi sur l’évitement des blessures.
Le Pilates
« Le Pilates est une activité physique visant au renforcement des muscles centraux et au bon équilibre du corps ». (Définition du dictionnaire « Le Petit Robert »)
« Le Pilates permet un travail du corps dans sa globalité «commencer par renforcer les muscles de ce qu’on appelle « core », « centre », « powerhouse ». Ces muscles stabilisateurs permettent de placer et de conserver le tronc dans la position optimale tandis que les muscles du mouvement font leur travail ». (Définition de la FPMP)
L’importance de la connexion corps-esprit transparait dans les six principes que Joseph Pilates a intégrés à la pratique de sa technique :
• Concentration
• Respiration
• Contrôle
• Centre
• Précision
• Fluidité de mouvement
Pilates et course à pied
Nous pouvons constater des similitudes entre les deux activités. En effet, le Pilates peut répondre à certains besoins de la course à pied :
- La stabilité du tronc avec le renforcement du « core », du centre
- La prise de conscience des mouvements des différentes parties du corps les unes par rapport aux autres avec le travail de contrôle et de précision
- Le travail respiratoire permettant son développement et sa maîtrise
- La fluidité de mouvement associant stabilité du tronc, respiration, coordination de mouvements des différentes parties du corps.
Le Pilates semble donc avoir toute sa place dans l’entraînement de la course à pied.
Qu’en est-il de la science ?
Peu d’études existent sur une corrélation entre le Pilates et la course à pied.
Pilates training improves 5-km run performance by changing metabolic cost and muscle activity in trained runners. Paula Finato, Edson Soares Da Silva, Alexandre B. Okamura, Bruna P Almada, Jorge L.L. Storniolo, Henrique B Oliveira, Leonardo A. Peyré-Tartaruga. PLoS One. 2018 Mar 21;13(3):e0194057. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29561907/
Cette étude vise à comparer le coût métabolique (Cmet) de certains muscles du tronc comme il est fait pour l’appareil locomoteur à différentes allures de course, et ainsi voir si le Pilates peut avoir un impact sur ce Cmet.
Les mesures sont réalisées sur deux groupes de 16 coureurs de fond entraînés pour des vitesses de 12km/h et 10km/h, après un programme de 12 semaines de Pilates pour l’un des deux groupes.
L’étude montre que le Pilates a une action positive comme stratégie d’entraînement de force des muscles posturaux et locomoteurs sur l’économie d’énergie et la performance.
Figure 1 : Dessin schématique du modèle de performance proposé dans cette étude
(Ventilatory thresholds : seuil ventilatoire. VO2 max (consommation maximale d’oxygène) = Aptitude maximale de l’individu à capter l’oxygène, le transporter et l’utiliser au niveau musculaire)
Il existe d’autres études dont les résultats peuvent être transférés sur l’impact du Pilates sur la course à pied :
– An online pilates exercise program is effective on proprioception and core muscle endurance in a randomized controlled trial. Sinem Suner-Keklik, Ayse Numanoglu-Akbas, Gamze Cobanoglu, Nihan Kafa, Nevin A Guzel. Ir J Med Sci 2022 Oct;191(5):2133-2139. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34716884/
– Effects of individualized low-intensity mat Pilates on aerobic capacity and recovery ability in adults. Na-Ram Moon, Woo-Hwi Yang.Phys Act Nutr. 2022 Dec;26(4):46-53. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36775651/
– Effects of pilates training on lumbo-pelvic stability and flexibility. Sureeporn Phrompaet, Aatit Paungmali, Ubon Pirunsan, Patraporn Sitilertpisan.Asian J Sports Med. 2011 Mar;2(1):16-22. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22375213/
Les auteurs de la première étude ont évalué les bénéfices d’une pratique du Pilates en ligne sur la proprioception et l’endurance musculaire des muscles centraux. Il en ressort qu’un programme d’exercices de Pilates en ligne d’une heure trois fois par semaine pendant 6 semaines contribuerait au développement de l’endurance et de la proprioception des muscles du tronc, qui sont deux éléments importants dans la course à pied (Suner-Keklik et al., 2022).
La deuxième étude montre le bénéfice d’une pratique du Pilates de faible intensité sur l’endurance aérobie et la capacité de récupération énergétique. Les auteurs ont observé une augmentation similaire de la masse musculaire et de l’indice de masse corporelle chez des femmes adultes ayant réalisé 1 heure de Pilates deux à trois fois par semaine pendant 4 semaines. La pratique du Pilates de faible intensité semble intéressante dans la récupération post-course et pourrait même être recommandée (Moon and Yang, 2022).
La troisième étude moins récente (Phrompaet et al., 2011) a pour objectif de montrer les effets du Pilates, à raison de 2 entraînements d’1 heure par semaine pendant 8 semaines, sur la flexibilité et le contrôle des mouvements lombo-pelviens. Une amélioration de la flexibilité et de la mobilité du tronc et du bassin a été retrouvée, permettant ainsi de prévenir les blesssures musculo-squelettiques axiales.
Ainsi la pratique du pilates, de par ses effets sur la statique du tronc, sur la proprioception, sur l’économie d’énergie et sur la fluidité de mouvement par une meilleure stabilité lombo-pelvienne, mais aussi grâce au travail respiratoire, apparaît bien être une pratique complémentaire à la course à pied.
Mais alors quelle place peut avoir le Pilates dans l‘entraînement en course à pied ?
La pratique du Pilates enrichira celle de la course à pied par les nombreux points communs entre les deux activités pour tendre vers une course à moindre coût énergétique et moins de blessures.
On ne peut pas parler de sport croisé car il n’y a en effet pas de transfert de compétence entre les deux activités. Cependant une forte complémentarité peut être constatée.
Le Pilates par le travail du « core » répond aux besoins essentiels de la course à pied. De façon spécifique, l’amélioration de la respiration, l’exercice de la fluidité et la coordination des mouvements des bras et des jambes vont permettre une meilleure stabilité du tronc.
Nous pouvons conclure que tous les principes du Pilates sont des atouts majeurs pour la course à pied. Le Pilates a ainsi toute sa place comme activité complémentaire dans la course à pied, soit pratiqué en cours (une à deux fois par semaine) soit réalisé sous forme de petites séquences au sein de routine.